Article publié dans la Revue virtuelle À l’encontre (19.1.2011)
Six ans après une grève de 21 jours à Fiat-Melfi (Basilicate), qui a vu les ouvriers s’opposer au caractère « exténuant » des rythmes de travail, le constructeur automobile de Turin – le groupe Fiat – a engagé un nouveau bras de fer avec les salarié·e·s. Le groupe dirigeant de la firme souhaite relancer la production industrielle dans le cadre d’un plan dénommé « Fabbrica Italia » (Usine Italie) qui exige des salariés une « flexibilité polonaise »[1]. Les accords négociés par les syndicats – à l’exception de la Fiom et des Cobas[2] – pour la « sauvegarde » des sites de Pomigliano d’Arco (Campanie) et de Mirafiori (Piémont) constituent un véritable banc d’essai pour vérifier la mise en pratique de « nouvelles relations collectives de travail » fondées sur une dégradation des conditions de travail et l’éviction des syndicats les plus combatifs comme représentants des salariés.
Ligne de production dans l’usine de Fiat-Mirafiori (2006)
Fabbrica Italia : un plan industriel dans un contexte de crise
L’industrie automobile se trouve actuellement dans une crise structurelle profonde en raison de surcapacités de production considérables. Elles ont été aggravées par la crise économique de 2008-2009. En Europe occidentale, la vente de véhicules a diminué de 17,2 à 13,5 millions entre 2007 et 2009, ce qui a réduit l’utilisation des capacités de production, qui ont passé d’un niveau déjà relativement bas de 75-80 % à 50-60 %[3]. À l’origine de ce phénomène, il y a la saturation progressive du marché de l’automobile ; une concurrence entre divers grands groupes qui a accru les capacités de production ; le renforcement à l’échelle mondiale de certains groupes (Hyundai par exemple) ; le tassement du pouvoir d’achat dans les pays du centre, lié à l’offensive antisalariale, ce qui va freiner le renouvellement des achats, malgré l’hyperdéveloppement du leasing. Dans cet affrontement concurrentiel à l’échelle mondiale, quatre processus se sont développés conjointement : la destruction de certaines capacités productives (par exemple, GM) ; la relocalisation des sites de production dans des pays ou régions à bas salaires et sans organisations syndicales effectives ; la reconfiguration d’une sous-traitance accrue en lien avec cette relocalisation ; la mise sur le marché de nouveaux modèles (hybrides par exemple) utilisant des plates-formes similaires.
C’est dans un tel contexte de crise structurelle d’un marché mondialisé, caractérisé par une mise en concurrence accrue des salariés, que l’Italo-Canadien Sergio Marchionne, PDG de la Fiat, se donne pour objectif proclamé de relancer la production en Italie et la profitabilité de la firme. Le plan a pour finalité la création d’un groupe industriel Fiat-Chrysler capable de produire 6 millions de voitures au plus tard en 2014 et d’assurer un chiffre d’affaires de 51 milliards d’euros par an, permettant à l’entreprise de garder une taille critique dans un marché mondialisé où l’acquisition de parts de marché mobilise de multiples moyens (financiers-leasing, de marketing, renouvellement apparent des produits, pression sur les sous-traitants, accords croisés pour diverses pièces, etc.). La production de voitures devrait augmenter de 650’000 à 1,4 million entre 2009 et 2014 en Italie, pays choisi pour le caractère très intégré de la production du groupe automobile[4]. D’après Sergio Marchionne, la mise en œuvre du plan Fabbrica Italia vise « à augmenter les volumes et à réduire les coûts. Il n’y a rien d’autre. Ce n’est pas compliqué »[5]. Pour y parvenir, le groupe automobile a scindé les activités de Fiat en deux entités juridiques distinctes (Fiat Spa et Fiat Industrial qui concernent respectivement les automobiles et les véhicules utilitaires tout en développant une stratégie qui repose sur quatre piliers.
Le premier a pour objectif d’assurer de nouveaux débouchés à la production. Historiquement tourné vers le marché italien, puis européen, Fiat songe à augmenter ses parts de marché à l’étranger, avec l’appui du réseau commercial de Chrysler. L’exportation de voitures produites en Italie devrait ainsi augmenter de 40 à 65 % d’ici à 2014[6]. Le deuxième consiste à réduire autant que possible les coûts unitaires de production, en organisant la production de manière plus « rationnelle », en exerçant une pression sur les salaires et en raccourcissant les délais d’amortissement du capital investi. C’est pourquoi le travail posté – organisé en trois-huit (3 x 8) sur 6 jours, voire la journée postée de 10 heures (2 x 10) – est exigé par Fiat. L’utilisation des capacités de production devrait atteindre ainsi un niveau proche de 100 %, soit celui des usines du groupe situées au Brésil et en Pologne. Le troisième repose sur des investissements à hauteur de 20 milliards d’euros, permettant une production adaptée aux variations de la demande, à la fois du point de vue de la quantité (nombre) et de la qualité (modèles). Toutes les usines du groupe seront restructurées selon les principes du World Class Manufacturing qui aura pour effet d’intensifier davantage le travail. Le quatrième vise à avoir enfin « main libre dans l’usine » en réduisant à néant la présence des syndicats les plus combatifs : la Fiom et les Cobas. Il s’agirait ainsi de réaliser le rêve de tout employeur : celui de mettre en œuvre le plan de Fiat « non plus avec l’aide de la police et de l’armée, comme c’était d’usage au XIXe siècle, mais avec la signature des organisations des travailleurs. Formellement, il ne s’agirait pas d’une imposition, puisqu’on offre la possibilité d’un choix. »[7]
La restructuration aux usines de Pomigliano d’Arco et de Mirafiori
Les accords négociés entre Fiat et la plupart des syndicats italiens pour la « sauvegarde » des usines de Pomigliano d’Arco et de Mirafiori concrétisent la mise en œuvre du plan industriel Fabbrica Italia. Ces deux accords prévoient l’engagement de l’entreprise à investir dans la production de nouveaux modèles en échange d’une dégradation considérable des conditions de travail, de la possibilité de sanctionner (jusqu’au licenciement) tout ouvrier qui osera se mettre en grève et de l’éviction des syndicats plus combatifs qui représentent environ un tiers du personnel à Pomigliano d’Arco et à Mirafiori. Le tout dans le cadre d’une newco[8] qui n’adhérera pas à la Confindustria[9] qui est signataire d’accords collectifs nationaux avec les syndicats de la métallurgie, en matière de droits et de représentation syndicale. En cas de refus des syndicats ou des salariés, l’entreprise prévoyait de fermer les usines pour déplacer la production à l’étranger. Ainsi, Sergio Marchionne a expliqué que « les syndicats doivent trouver un dénominateur commun propre au futur des établissements italiens », en ajoutant qu’il existe un Plan B « qui ne serait pas du tout agréable. Ce n’est pas une plaisanterie, nous avons la possibilité de déraciner la production et de l’implanter ailleurs. »[10]
Le travail sera organisé selon les principes du World Class Manufacturing appliqué déjà dans les usines Fiat de Tychy (Pologne), de Bursa (Turquie) et de Melfi (Italie). Ils ont pour objectif la mise en place d’une production en flux tendu ainsi que la réduction des accidents, des gaspillages et des pannes. Ce paradigme permet de réduire considérablement les temps « morts » pendant lesquels les ouvriers se déplacent, posent les outils de travail, changent de position, etc. La réduction des pauses sera calculée d’après le système Ergo-UAS, qui définit les temps de repos d’une phase de production (par exemple 5 sec. pour 1 min.) selon le niveau de risque présumé de troubles musculo-squelettiques.
Les deux accords prévoient principalement les mesures indiquées dans les deux tableaux ci-dessous :
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Accord de Mirafiori de janvier 2011 5’431 salariés concernés |
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Avant | Après |
Travail organisé autour travail posté (2 x 8) sur 5 jours. | Organisation du travail autour de quatre options: – travail posté (2 x 8) sur 5 jours – travail posté (3 x 8) sur 5 jours – travail posté (3 x 8) sur 6 jours – travail posté avec une journée de 10 heures (2 x 10) sur 5 jours Tout changement nécessite un préavis de 15 jours. |
Pause de 40 min. (2 x 20 min.) | Pause de 30 min. (3 x 10 min.) |
Pause-repas située au milieu du poste (après une demi-journée de travail). | L’ouverture de négociations pour déplacer la Pause repas à la fin du poste (après une journée entière de travail) est prévue en 2012. |
Possibilité de recourir jusqu’à 40 heures supplémentaires par année. | Possibilité de recourir, par année, jusqu’à 120 heures supplémentaires sans aucune contrainte pour l’entreprise, auxquelles s’ajoutent jusqu’à 80 heures avec l’autorisation préalable des syndicats. |
Indemnisation à partir du premier jour de maladie selon les dispositions de la CCT (métallurgie). | Possibilité de réduire l’indemnisation des jours de maladie lorsque le taux d’absence est supérieur à: 6 % à partir de juillet 2011 ; 4 % à partir de janvier 2012 ; |
Exercice légitime du droit de grève. | Sanction (jusqu’au licenciement) de toute action de grève. |
Élection des délégués syndicaux sur la base d’une liste électorale à laquelle tous les syndicats peuvent prendre part. | Nomination des délégués syndicaux seulement par les syndicats ayant signé un accord avec l’employeur, ce qui exclut la Fiom et les Cobas de la représentation syndicale des salariés. |
Ces deux accords ont clairement pour effet d’intensifier le travail, au point d’exposer davantage les salariés à une dégradation de leur santé. Ils légitiment de même une gestion antisyndicale de l’entreprise. La direction de Fiat a décidé d’organiser un référendum au sein des deux usines dans le but de passer en force les deux accords tout en prétendant donner une légitimité démocratique aux syndicats signataires d’un accord imposé grâce à un chantage. Son objectif consistait à s’appuyer sur un résultat « clair » permettant de « dévaloriser » ainsi toute résistance contre la mise en œuvre des restructurations par les syndicats contestataires. Les deux accords n’ont toutefois pas fait l’unanimité ni des syndicats ni des salariés. Dans un climat très tendu, les salariés ont exprimé majoritairement un « oui par obligation » dans l’urne tel que le montre le tableau ci-dessous :
Pomigliano d’Arco(22 juin 2010) | Mirafiori(14 janvier 2011) | |
Taux de participation : | 95,0 % | 94,2 % |
Oui | 62,2 % | 54,1 % |
Non | 38,8 % | 45,9 % |
Nul / Blanc | 1,7 % | 1,1 % |
Il est apparu clairement que les conditions du vote n’ont pas permis l’expression d’un libre choix. Les chefs d’équipe ont été accusés de convaincre le personnel dans le cadre des assemblées d’information organisées par la direction la veille du vote à Mirafiori[14]. Stefano Porzio, 30 ans, dont 5 d’ancienneté dans un atelier de montage, a expliqué que son vote favorable à l’accord « a été un oui par obligation. Si nous avions pu voter tous librement, nous aurions dit non. Mais nous devons travailler : celui-ci est un choix sans alternatives »[15]. En revanche, Maria Capasso, âgée de 33 ans et travaillant depuis 9 ans à la chaîne, a voté contre en raison des effets néfastes que la restructuration aura sur ses conditions de vie. « Quand la chaîne s’arrête – explique-t-elle – l’entreprise dit que ces quatre heures seront récupérées pendant les prochains six mois de travail. Comment ? De différentes manières. Pendant huit jours, tu ne vas pas à la cantine entre une heure et deux heures de l’après-midi, ou sinon tu travailles une journée de plus. Quand, sinon, avec une chaîne à flux tendu ? »[16]
Le nombre de « oui » a été plus élevé à Pomigliano d’Arco, où le taux de chômage est bien plus élevé par rapport à la moyenne nationale et touche tout particulièrement la jeunesse. À Mirafiori, usine autrefois centre de luttes ouvrières déterminantes dans l’histoire des « relations collectives de travail » en Italie, l’accord a suscité davantage d’oppositions. Il a été rejeté dans les départements où la pénibilité des conditions de travail est plus élevée. Le tableau ci-dessous montre également que le vote des cols blancs a été (presque) déterminant pour l’approbation de l’accord :
Le soutien à la Fiom par la société civile
La mise en pratique des « relations collectives de travail » souhaitées par Fiat n’est pas encore acquise. D’une part, le vote des ouvriers de Pomigliano d’Arco et de Mirafiori a exprimé une désapprobation partagée à l’égard des conditions de travail imposées par l’employeur. Cela n’exclut pas d’avance le développement de formes de résistance syndicale menées par les salarié·e·s. D’où l’importance de la grève générale appelée par la Fiom, le 28 janvier 2011. Dans la conjoncture présente, c’est un élément central de la mobilisation. D’autre part, il y a des composantes de ladite société civile qui semblent avoir saisi l’impact que les deux accords pourraient avoir pour les salarié·e·s de tous les secteurs. Dans un pays qui se trouve déjà dans une crise sociale profonde depuis de longues années, les conditions de travail régies, encore partiellement, par les conquêtes des années 1970 vont se être dégradées, dans tout leur éventail, avec des conséquences sur l’ensemble de la vie sociale et privée. C’est pourquoi plusieurs appels de soutien à la Fiom circulent depuis le mois de décembre 2010. Ceux-ci sont d’autant plus importants que l’opposition politique de « centre-gauche » ne propose aucune véritable alternative aux accords souhaités par la Fiat. Nous reproduisons deux de ces appels qui sont révélateurs de cette prise de conscience.
Le premier – paru dans le quotidien « Il Manifesto » et signé par des personnalités publiques telles que Luciano Gallino (sociologue), Fausto Bertinotti (ex-président de la Chambre des députés), Gianni Ferrara (professeur de droit), etc. – affirme la nécessité de remettre le travail et les travailleurs au centre du débat public. L’Italie de Silvio Berlusconi, celle de la Deuxième République, a progressivement gommé du débat public et politique la catégorie sociale de classe ouvrière, au point de la faire disparaître de que ce certains qualifient d’imaginaire collectif.
Le deuxième – lancé par Andrea Camilleri (écrivain), Paolo Flores d’Arcais (directeur de la revue MicroMega) et Margherita Hack (physicienne) – met en garde la société contre une dérive autoritaire que représente l’éviction de la Fiom comme une des expressions organisées, syndicales, des salarié·e·s. L’appel n’hésite pas à considérer ce processus comme l’équivalent d’une forme moderne, plus douce, de la répression que le mouvement ouvrier avait subie, après la Première Guerre mondiale, par les bandes armées du fascisme italien. Jusqu’à présent, cet appel a récolté déjà plus de 70’000 adhésions.
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Appel de soutien à la Fiom
Éditorial publié dans le quotidien « Il Manifesto » du 29 décembre 2010
Nous avons décidé de constituer une association, « Travail et liberté », parce que nous partageons une même indignation citoyenne. La première raison naît de l’absence, dans la lutte politique italienne, d’un intérêt pour les droits démocratiques des travailleurs et des travailleuses. De même que les mécanismes électoraux ont enlevé aux citoyens le droit de choisir leurs propres représentants, mais plus grave encore, un travailleur et une travailleuse n’a pas le droit de décider le sort des accords syndicaux qui déterminent leur salaire, leurs conditions de travail et leurs droits sur le lieu de travail. Nous nous référons aux accords qui ne touchent pas aux droits non négociables. Il s’agit donc, dans le cas des accords syndicaux, d’un droit individuel qui s’exerce collectivement par les salariés, qui ne peut pas être substitué par des dynamiques internes aux organisations syndicales et patronales (même si celles-ci sont nécessaires et indispensables dans le cadre des relations collectives de travail). De tout cela, il n’y a qu’une trace plaintive dans la discussion politique. Nous retenons toutefois que cette question devrait être une des clés de voûte de l’engagement politique et citoyen. L’impact croissant sur la vie des citoyens des choix pris dans le domaine économique devrait amener à un renforcement des mécanismes de contrôle public et de rééquilibrage du pouvoir économique. En l’absence de tels mécanismes, la probabilité d’en subir des conséquences individuelles et collectives néfastes est plus élevée, comme nous le connaissons maintenant.
La deuxième raison de notre indignation citoyenne réside dans l’effort continu d’une partie considérable de la classe politique italienne de redimensionner l’expression du conflit social. Les sociétés démocratiques considèrent le conflit social (que ce soit celui entre capital et travail, celui qui touche les biens communs ou celui concernant les questions d’intérêt public) comme la raison même de leur nature démocratique. Seule l’expression de tels conflits, dans le cadre des droits constitutionnels, permet de rééquilibrer les pouvoirs économiques, de développer des débats publics et de contrôler les pouvoirs politiques. Dans une société démocratique, aucun intérêt partisan – comme celui des entreprises – ne peut être supérieur aux autres : les droits individuels et collectifs ne peuvent donc pas être subordonnés à l’intérêt d’une ou plusieurs entreprises, et non plus à celui de l’État. La rationalité des choix économiques et techniques, présumée supérieure, s’est volatilisée lors de la grande crise actuelle.
Il y a une idée qui est chère tant au gouvernement italien qu’à la Fiat et à la Confindustria : celle d’une société basée sur la substitution, sous l’égide du gouvernement, du conflit social par un système corporatif de rééquilibrage entre les organisations syndicales et celles patronales pour toute question liée au travail et aux assurances sociales. Il s’agit d’un vrai cauchemar autoritaire. Nous sommes stupéfaits, bien avant d’être indignés, par le fait que de tels scénarios ne réunissent pas un nombre plus élevé de forces sociales, politiques et culturelles dans le but d’arrêter et de renverser cette dérive autoritaire. Seule exception a été la manifestation du 16 octobre 2010. Nous sommes enfin indignés par la réduction du travail, dans toutes ses formes, à une condition qui nie l’expression et l’épanouissement de soi-même. Dans un pays où la grande partie des salarié·e·s travaille dans une PME, le démantèlement de la législation qui protège les salariés de leur environnement de travail, la difficulté croissante de faire appel aux tribunaux ordinaires lors d’un conflit de travail constituent les éléments très concrets d’un processus de dépouillement de la dignité de ceux et celles qui travaillent. Cela se caractérise donc par la précarisation et l’individualisation des rapports de travail, tandis que les entreprises accroissent leur emprise sur la régulation sociale constituée par le travail. Le gouvernement veut enfin substituer le Statut des droits des travailleurs par un Statut des travaux : un changement terminologique qui s’explique par lui-même et qui correspond au changement de contenu. Le passage des porteurs de droits, les travailleurs qui peuvent les utiliser, aux lieux, les travaux, est révélateur du processus d’abstraction / aliénation qui aboutit à la négation des droits.
Comment est-il possible que face à la destruction systématique d’un siècle de conquêtes citoyennes dans le domaine du travail, il n’y ait aucune réponse à la hauteur du défi ?
Il faut redonner une centralité politique au travail. Aujourd’hui, celle-ci constitue la voie pour régénérer la politique et pour libérer la vie publique des dérives, de la décadence, de la vulgarisation et de l’autoréférentialité qui touchent gravement le pays. En conséquence, il faut amener le travail et les travailleurs au centre de l’agenda politique : dans l’action du gouvernement, dans le programme des partis, dans la bataille des idées, afin que la dignité du travailleur devienne l’étoile céleste pour toute décision individuelle
et collective.
Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de constituer une association ayant pour but de susciter une réflexion et une action dont l’objectif consiste à soutenir toutes les forces qui se mobilisent sur ces questions, que ce soit dans la société, dans la politique ou dans la culture.
Fausto Bertinotti, Sergio Cofferati, Gianni Ferrara, Luciano Gallino, Francesco Garibaldo, Paolo Nerozzi, Stefano Rodotà, Rossana Rossanda, Aldo Tortorella, Mario Tronti
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La société civile avec la Fiom : « Oui aux droits ! Non aux chantages ! »
Appel lancé par Camilleri, Flores d’Arcais et Hack publié dans la Revue MicroMega[18] le 4 janvier 2011. Il a recueilli jusqu’à présent plus de 70’000 signatures. Le diktat de Marchionne, signé par Cisl et Uil, contient une clause inouïe qui n’a jamais été imaginée, y compris pendant les années de la répression syndicale (reparti-confino[19]) menée par Valletta[20] : l’éviction des syndicats qui n’ont pas signé l’accord, l’impossibilité pour eux de disposer d’une représentation collective, leur abrogation de fait. Cet incroyable anéantissement d’un droit constitutionnel inaliénable ne provoque pas l’insurrection morale qui devrait aller de soi pour tout citoyen démocratique. Il s’agit cependant de l’équivalent du squadrismo[21], bien que dans une forme moderne et (peut-être) douce, qui a permis au fascisme de détruire le droit des travailleurs à s’organiser librement.
C’est pour cette raison que l’appel à une grève générale, avancée par la Fiom, nous paraît sacro-sainte au point de devoir être soutenu par tous les moyens possibles. L’attaque inouïe de la Fiat aux droits des travailleurs est une attaque aux droits de tous les citoyens, puisqu’il met un péril la valeur fondamentale des libertés démocratiques. C’est pourquoi nous considérons comme urgent que la société civile manifeste la solidarité la plus concrète et active à l’égard de la Fiom et des travailleurs de la métallurgie : il en va des libertés de tous !
Andrea Camilleri, Paolo Flores d’Arcais, Margherita Hack
Premiers signataires : don Andrea Gallo, Antonio Tabucchi, Dario Fo, Gino Strada, Franca Rame, Luciano Gallino, Giorgio Parisi, Fiorella Mannoia, Ascanio Celestini, Moni Ovadia, Lorenza Carlassarre, Sergio Staino, Gianni Vattimo, Furio Colombo, Marco Revelli, Piergiorgio Odifreddi, Massimo Carlotto, Valerio Magrelli, Enzo Mazzi, Valeria Parrella, Sandrone Dazieri, Angelo d’Orsi, Lidia Ravera, Domenico Gallo, Marcello Cini, Alberto Asor Rosa.
Il sole 24 ore, 24.4.2010
La Fiom regroupe les travailleurs de la métallurgie au sein de la Cgil, le plus grand syndicat italien historiquement lié au Parti communiste. Les Cobas sont un syndicat de base autant combatif que minoritaire.
Il sole 24 ore, 10.3.2009
L’Unità, 22.4.2010
Corriere della sera, 22.4.2010
Corriere della sera & Il Messaggero, 14.6.2010
La Repubblica, 14.6.2010
La newco est une entreprise fondée ad hoc par Fiat dans le but de licencier les salariés d’une usine pour ensuite les réembaucher sans pour autant respecter la convention collective de travail du secteur.
La Confédération générale de l’industrie italienne (Confindustria) est l’organisation faîtière des entreprises italiennes.
Corriere della sera, 22.4.2010
L’accord défini un taux d’absence « anormal » comme « significativement supérieur à la moyenne »
Cette pratique repose sur un accord signé par le patronat et les syndicats en1993.
Cette pratique est conforme à la loi sur le travail en Italie.
La Repubblica, 13.1.2011
La Repubblica, 23.6.2010
La Repubblica, 14.6.2010
L’équipe de nuit est actuellement très restreinte (environ 400 salariés) en raison du chômage technique.
L’appel est disponible à l’adresse : http://temi.repubblica.it/micromega-appello/?action=vediappello&idappello=391202
La pratique des reparti-confino consiste à éloigner les militants syndicaux en les déplaçant dans des départements isolés au sein de l’entreprise. Celle-ci est en vogue encore aujourd’hui chez Fiat – tel est le cas des syndicalistes de base Cobas qui ont été déplacés de Pomigliano d’Arco à Nola (Campanie). Cette pratique a été courante également en France. Cf. Le récit de Robert Linhart sur son expérience de travail à l’usine Citroën de Choisy, en 1967, publié dans L’Établi aux éditions de Minuit (1981).
Vittorio Valletta a été le PDG de la Fiat entre 1945 et 1966. Il est connu pour la gestion autoritaire de la Fiat, caractérisée par la pratique des reparti-confino et la mise en place d’un syndicat « jaune » (l’actuelle Fismic) au sein de l’entreprise.
Le Squadrismo désigne les bandes armées qui attaquaient les organisations politiques et syndicales du mouvement ouvrier pendant les premières années du fascisme italien.
3 Comments
Le Monde diplomatique
Article cité par Serge Quadruppani, Restructurations et résistance chez Fiat, Le Monde diplomatique, mars 2011, p. 10.
Cf. http://www.monde-diplomatique.fr/2011/03/QUADRUPPANI/20198
Sozial.Geschichte Online
Article cité par Maurizio Coppola, Fiat Mirafiori: Ende einer Ära der Arbeitsbeziehungen in Italien?, Sozial.Geschichte Online, (5), 2011, p. 138.
Cf. http://duepublico.uni-duisburg-essen.de/servlets/DerivateServlet/Derivate-26914/07_Coppola_Italien.pdf
Éditions CFTC
Article cité par Maël Dif-Pradalie & Fabien Reix, Figures de salariés en lutte. Les cas de Continental et Nortel, Éditions CFTC, Pantin, 2012, p. 23.